Paul Cézanne

Cézanne

Paul Cézanne « Nature morte aux pommes »  1890                                                                             Huile sur toile 35,2cm x 46,2 Musée de l’Hermitage  à Saint Petersbourg.

« Ces verres, ces assiettes, ça se parle entre eux. Des confidences interminables. Les fleurs, j’y ai renoncé. Elles se fanent tout de suite. Les fruits sont plus fidèles. Ils sont là comme à vous demander pardon de se décolorer.  » Paul Cézanne.

ANALYSE DE L’ ŒUVRE

Le sujet : comparer le tableau avec celui de Georg Flegel,   met en évidence le déplacement des intentions du peintre qui reste cependant fidèle au genre de la nature morte dont on retrouve les caractéristiques : La représentations d’objets de la nature, des contenants disposés sur une surface plane. Le choix du mot « surface plane » n’est pas anodin, puisque la référence à la table est évacuée pour laisser la place à une surface animée par la touche. Les contenants ont perdu de leur préciosité pour devenir des objets ordinaires très sobres, voir austères : une assiette blanche, un pot de fer. Le sujet n’est plus l’écriture du texte religieux par le langage plastique, mais « La Pomme ». On retrouve dans le choix du sujet et sa sobriété le même souci de simplicité et d’efficacité. Le sujet  est simple mais la mise en espace est complexe.

La composition : mise en espace des formes selon une organisation rigoureuse qui imbrique les formes géométriques par une déclinaison de cercles (les formes ) et de lignes droites (la construction). Les pommes disposées dans l’assiette sont empilées de façon  pyramidale pour constituer une sorte de cône.   Celles qui sont disposées sur la table derrière le citron sont traitées comme des formes abstraites et ressemblent plus à des sphères colorées qu’à des pommes. L’emboîtement de ces deux sphères avec le citron dessinent une ligne droite imaginaire qui se termine sur le citron lui-même. Le citron est l’élément déterminant pour stabiliser une ligne oblique qui traverse le tableau (ses deux extrémités  fonctionnent presque comme une signalétique, une flèche pointée vers la droite et vers la gauche). La ligne de séparation entre ce que l’on identifie comme limite entre le mur du fond et la surface de la table est légèrement inclinée et fragilise la composition. Le regard est invité à se déplacer vers le hors champ avec la présence du pot coupé par le bord du cadre (d’autres objets ? Une présence humaine ?)

La lumière, dans la répartition du clair et de l »obscur est soumise à la composition et la soutient.

Les couleurs : les couleurs complémentaires très présentes produisent un effet de contraste  fort, renforcé par le fond sombre. Elles dialoguent avec les touches , déclinées dans une gamme de gris colorés, qui fond vibrer la surface qu’elles recouvrent et renvoient à la jubilation de peindre.

Forme et fond. Les formes se détachent nettement du fond, elles sont donc parfaitement identifiables. L’effet est légèrement perturbé par l’ombre  au fond de l’assiette en installant un dialogue entre forme et fond comme pour jeter le trouble. Ce geste pictural  met en faillite nos certitudes sur le réel représenté et nous invite à interroger l’espace de la représentation : je ne vois pas des pommes mais la peinture dans sa dimension tactile.

La matière et la texture : il s’agit de « Restituer la sensation » par la touche picturale. Les objets, la matière, ont un poids, une texture, que la peinture qui a aussi un poids et une texture, restitue.

POURQUOI L’ARTISTE A T-IL FAIT CELA ?

La fin du XIXe et le début du XXe sont des périodes de questionnement sur le rapport de l’homme aux objets du monde. L’homme de la Renaissance soumettait la représentation au visible. L’art moderne interroge cette conception  : les objets, la nature, dans leur matérialité, nous touchent, sollicitent nos sens et modifient notre façon d’être dans ce monde : « Ce que j’essaye de vous traduire, écrit Cézanne dans une lettre à Joachim Gasquet,  est plus mystérieux et s’enchevêtre aux racines mêmes de l’être, à la source impalpable des sensations. »  On a beaucoup glosé sur la phrase prononcée par Cézanne dans un entretien  avec Émile Bernard : « Tout dans la nature se modèle  selon la sphère, le cône et le cylindre, il faut s’apprendre à peindre sur ces figures simples, on pourra faireensuite tout ce qu’on voudra. ». Cette confidence a abouti à des dérives théoriques qui ont fait de cette idée, la source même du cubisme (simplification des formes, évacuation du sujet et pourquoi pas saut dans l’abstraction !). Nous préférons penser que les mots sphères et cônes renvoient, non à la géométrie, mais à l’idée de volume et donc d’objets qui ont un poids, une chaleur, une texture. Une sphère : elle tient au creux de la main et vient la lester de son poids. Ce que les cubistes ont retenu de la leçon : représenter les objets du monde, c’est aussi dire leur matérialité sur une surface en deux dimensions : l’espace du tableau.

Bibliographie : « Conversations avec Cézanne » Éditions Macula 1978 ( Émile Bernard, Joachim Gasquet)

Voir la séquence « Peindre un bouquet »

Voir la séquence « gris colorés »

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