André Kertész

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André Kertész « La fourchette« , 1928, Musée d’Art Moderne, Centre Pompidou                         – Épreuve gélatino-argentique (tirage 1977, don de l’artiste en 1978) – 

LE CONTEXTE

« Ma jeunesse en Hongrie est pleine de souvenirs doux et chauds. J’en ai gardé la mémoire vivante dans mes photographies. Je suis un sentimental né, heureux ainsi ; peut-être sans place dans la réalité actuelle » : toute sa vie, André Kertész restera attaché à la Hongrie rurale imprégnée de traditions folkloriques dans laquelle il est né en 1894,  « Après mon baccalauréat en 1912, j’ai acheté un appareil photo. C’était devenu pour moi un petit livre de notes, un livre d’esquisses. J’ai photographié des choses qui m’entouraient – choses humaines, animaux, ma maison, les ombres, des paysans, la vie autour de moi. » Indifférent à l’actualité, il collecte les petits détails du quotidien. « Ma photographie est vraiment comme un journal intime visuel, dira-t-il. […] C’est un outil pour exprimer et décrire ma vie, de la même façon que les poètes et les écrivains décrivent leurs expériences de la vie. »

Ces commentaires de l’artiste, extraits du catalogue de l’exposition du Jeu de paume qui a eu lieu en 2011 (voir le dossier), nous invitent à mettre en lien cette oeuvre avec une nature morte de Cézanne  (même regard posé sur un objet ordinaire : regards amoureux d’artistes  sur  les objets du monde, même les plus humbles).  Restituer cette sensation de présence de l’objet est l’enjeu même de la représentation dans les deux cas, même si les mediums utilisés sont techniquement différents.

ANALYSE DE L’OEUVRE

Les élément iconiques : une fourchette et une assiette posées sur une nappe blanche.

La composition : la composition confirme  le sujet donné par le titre »La fourchette« . La fourchette effectivement occupe pratiquement toute la surface de l’image (et même plus avec le hors champs). Chaque élément est un fragment : fragment d’assiette, fragment de fourchette, fragments de table. Ce parti pris pourrait créer une impression de discontinuité (effet puzzle) alors que, bien au contraire, chaque fragment entre en relation avec l’autre à la fois par des jeux de lignes qui se répondent par le contour lui-même de l’objet soit par son ombre : l’assiette avec la nappe, la nappe avec la fourchette, la fourchette avec l’assiette… Les objets dialoguent ensemble, ils semblent   indissociables et l’on peut se demander si la phrase de Cézanne  : » Ces verres, ces assiettes, ça se parle entre eux. Des confidences interminables » n’a pas été chuchotée à l’oreille du photographe au moment de la prise de vue.

La couleur: la composition de la nature morte est d’emblée en noir en blanc. Si l’on ne connaissait pas la date de la prise de vue, on pourrait s’interroger : photographie couleur ou noir et blanc ? En privilégiant les noirs saturés pour les ombre Kertész nous révèle que le blanc n’est jamais blanc et qu’il est modulé par un nombre infini de valeurs.

La lumière : Les contrastes forts pourraient fragmenter l’image, elle ne fait que l’unifier et ceci grâce aux légères déformations des ombres qui s’infléchissent d’un objet à l’autre. L’ombre plus fine et plus légère au niveau des dents de la fourchette, semble crocheter l’assiette de façon un peu taquine.

Photographie plasticienne  ? Il est tentant  d’assimiler cette image à la photographie plasticienne. En effet la construction rigoureuse de l’image, et son parti pris chromatique pourraient tenter de la rapprocher des photos constructivistes (Rodtchenko). Les constructivistes privilégiaient l’organisation des composants plastiques au sujet (logique de l’abstraction). Ce serait sans doute une dérive, mais pas vraiment, car chez Kertész, la construction participe de l’effet produit, la technique est très présente dans la conception des images.

Voir la séquence « Peindre un bouquet »

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